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Sôniac

Réflexions sur l'art d'une femme au temps de la Révolution française

15 Mars 2015 , Rédigé par Soniac Publié dans #Tribune libre

Grâce à l'excellent reportage d'Arte "Artistes femmes, à la force du pinceau" (diffusé pour la journée de la femme 2015), j'ai découvert toute une série de femmes peintres, que je connaissais absolument pas : Sofonisba Anguissola, Artemisia Gentileschi, Rosalba Carriera, Angelica Kauffmann, Adélaïde Labille-Guiard, Marie Guillemine-Benoist, Rosa Bonheur... Autant de grandes artistes, reconnues de leur temps et tombées dans l'oubli de la mémoire collective aujourd'hui... Bien sûr

J'ai choisi de vous parler de l'une d'entre elles : Adélaïde Labille-Guiard (1749-1803), sans doute parce qu'elle a vécu au temps de la Révolution française et que cela m'inspire...

Et j'ai choisi ce tableau d'elle, peint en 1785, quelques années avant la Révolution, qui m'a plu. Regardez-le bien :

"Autoportrait avec deux pupilles" - Adélaïde Labille-Guiard (huile sur toile, 211 × 151 cm) - 1785

"Autoportrait avec deux pupilles" - Adélaïde Labille-Guiard (huile sur toile, 211 × 151 cm) - 1785

La composition est significative :
L'artiste s'y représente dans son atelier, peignant une toile que nous ne voyons pas, et dont nous sommes le sujet, en fait. Deux "pupilles", entendez par là, deux de ses élèves (femmes) l'entourent, et suivent l'évolution de son œuvre. L'une regarde le tableau en train de se faire, et l'autre le sujet (nous). Il y a donc un va-et-vient entre le spectateur et le tableau, spectateur qui se trouve lui-même enrôlé dans la scène.

J'aime beaucoup la finesse du trait (la maîtrise picturale), le traitement de la lumière sur les visages et la beauté des expressions. Les visages nous attirent, et au final on ne voit qu'eux au milieu de ce grand tableau. Les expressions sont indéniablement parlantes, la pupille qui nous regarde a un petit air malicieux, celle qui regarde le tableau est admirative, et Adélaïde calme et concentrée sur son œuvre, en maître (ou faudrait-il dire maîtresse?) qu'elle est.

J'ai pu lire que cette œuvre a été considérée en son temps comme révolutionnaire par bien des égards :

  • la composition de la peinture,
  • le sujet traité (l'artiste et ses disciples - des femmes : quelle audace !),
  • le traitement original de l'autoportrait (sujet classique des peintres depuis la Renaissance).

Ce tableau m'évoque aussi le fameux portait de la famille royale et de l'artiste de ce peintre de cour que fût Velazquez ("Les ménines", 1656).

"Las Meninas" - Diego Velazquez (huile sur toile, 318 × 276 cm) - 1656

"Las Meninas" - Diego Velazquez (huile sur toile, 318 × 276 cm) - 1656

Par sa composition, il est aussi riche que "Las meninas" (qui représente le peintre peignant le couple royal, avec son public, "les filles"), quoique beaucoup moins touffu, il est pur et j'aime imaginer qu'Adélaïde Labille-Guiard ait pu s'inspirer de Las meninas. Sauf qu'il ne représente que des femmes, quelle audace [bis] !
Et ces femmes me semblent avec mes yeux actuels éminemment modernes, malgré les froufrous de leurs lourdes robes moirées de la mode de l'époque. C'est pourquoi, cet "autoportrait avec deux pupilles" me touche beaucoup plus que "Les ménines", tableau d'une cour totalement désuète de nos jours.

Dans ces femmes représentées, j'y vois nos sœurs, par-delà les époques. Les élèves qui cherchent à apprendre, peut-être même comprendre le secret du talent, elles sont jeunes et leurs visages expressifs me les rendent proches. C'est la magie de cette peinture qui - comme d'autres - nous rendent l'humanité d'une lointaine période historique, si proche. L'art nous a permis la transmission de tout un patrimoine, en témoignage, c'est une richesse énorme que de pouvoir visualiser les coutumes de nos lointains ancêtres. Il nous montre aussi combien l'humain reste le même par-delà les époques. 

 

 

"Autoportrait avec deux pupilles" - Détail

"Autoportrait avec deux pupilles" - Détail

Et puis sur cet autoportrait il y a la peintre elle-même, qui a alors 36 ans, belle et sûre d'elle, sans doute une femme de tête, car elle était reconnue à son époque. Sa robe soyeuse bleue claire et son chapeau à plumes évoquent le faste. Depuis 1783, elle était une des premières femmes a être rentrée à l'Académie Royale de peinture et de sculpture, signe de reconnaissance suprême. A quelques années de la Révolution, Adélaïde Labille-Guiard peignait ce tableau en toute liberté, transgressant les codes de son temps.
Peintre professionnelle, qui avait dû payer sa formation auprès de maîtres, car elle était femme, elle est à l'époque de ce tableau déjà séparée de son premier mari, ce qui était scandaleux pour l'époque. D'autant plus qu'elle exerçait un métier d'homme. Sur ce tableau, pour moi elle s'y affirme comme femme artiste, fière et libre. Et c'est un beau sujet, à la veille de la Révolution !


Pour poser quelques éléments de la biographie d'Adélaïde Labille-Guiard (née en 1749 à Paris), nous savons qu'elle a été une peintre portraitiste reconnue de son vivant, sous l'Ancien Régime déjà, elle rentra à l'Académie Royale de Peinture et Sculpture comme je l'ai dit, et gagna même une pension du Roi pour peindre. Séparée de son mari commerçant en 1779, elle se retrouve dans une situation financière difficile et prend des élèves femmes.
Quand la Révolution éclate elle recherche de nouveau sujets dans les révolutionnaires. Elle peindra ainsi Talleyrand, puis Robespierre, en 1791. En 1793, la loi l'autorisant désormais, elle divorce. Pendant la Terreur, elle s'éloigne de Paris, craignant d'être prise pour une monarchiste, du fait de sa pension royale. Mais compte tenu de son attitude assez favorable à la Révolution, elle gardera finalement les faveurs des nouveaux puissants. En 1799, elle se remarie en secondes noces avec un peintre reconnu. Elle mourra en 1803, à Paris, dans des circonstances que je ne connais pas...

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